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17 avril 2014 4 17 /04 /avril /2014 20:31

TheLastSupper550x286.jpgLa dernière Cène

En ce temps de Pâques, des centaines de millions de Catholiques célèbrent la Passion de Jésus-Christ, centrale dans la foi chrétienne. Cette Passion commence paradoxalement par un repas mêlant la tradition grecque du banquet, où le Maître, entouré de ses disciples, dispense un dernier enseignement, et la fête juive de la Pâques, commémorant la libération du peuple hébreux de sa servitude égyptienne par le sacrifice et la manducation d'un agneau nouveau-né. Là, dans une humble demeure de Jérusalem, se profile déjà la mort tragique de Jésus, pendant le Vendredi Saint.

Un des épisodes les plus connus de la Sainte Cène, le dernier repas du Christ, est la fameuse sortie de Pierre, qui, de toutes ses forces, et non sans générosité, conteste ses propos laconiques et sombres:

"Simon-Pierre lui dit: 'Seigneur, où allez-vous?' Jésus répondit: 'où je vais, tu ne peux me suivre à présent; mais tu me suivras plus tard.' Seigneur, lui dit Pierre, pourquoi ne puis-je vous suivre à présent? Je donnerai ma vie pour vous." Jésus lui répondit: "Tu donneras ta vie pour moi! En vérité, en vérité, je te le dis, le coq ne chantera pas que tu ne m'aies renié trois fois."(Evangile selon saint Jean, ch. 13, 36-38)

Quelques lignes plus loin, nous lisons la prophétie de Jésus se réaliser: Simon-Pierre, ayant suivi de loin Jésus, après son arrestation, avec un autre disciple, entre dans la Cour du Grand-Prêtre. Là, il cherche à se chauffer auprès d'un feu, mais une servante le reconnaît, et il entre dans son fameux reniement.

Certainement, Jésus ne fut pas sans connaître quelque dépit, en livrant sa prophétie; il n'en reste pas moins que l'épisode demeure l'un des plus célèbres de la Passion du Christ. Chaque année depuis un peu moins de 2000 ans, les fidèles entendent le récit du 'reniement' de saint Pierre, dont la personnalité se trouve comme entièrement réduite à cet épisode malheureux. Des générations de Catholiques, et plus généralement de chrétiens, des dizaines d'écrivains catholiques ont commenté, brodé, discuté, condamné les passages en question, en une sorte d'immense procès qui dure depuis 2000 ans et qui ne semble pas avoir de fin.

Voulant prendre cette tradition séculaire à contretemps, l'auteur de ces lignes voudrait attirer l'attention de l'amateur de religions sur les faits suivants.

1) Dans l'Evangile selon saint Matthieu et l'Evangile de saint Marc, nous avons cette précision intéressante: "Pierre lui répondit: 'quand il me faudrait mourir avec toi, je ne te renierai pas'. Et tous les disciples dirent la même chose."(Mt 27, 35; Mc 15, 31) L'impétuosité imprudente de saint Pierre, révélée à l'occasion de cette protestation de fidélité, n'était donc pas le seul apanage du Prince des Apôtres; elle se partageait également entre tous les disciples. Il y a donc quelque imprudence à lui reprocher son reniement, alors que, de tous les apôtres ou presque, lui seul mit sa résolution en pratique et suivit Jésus jusque dans la cour du Grand Prêtre, au moment le plus périlleux de sa courte destinée.

2) Peu de temps après, en effet, saint Pierre a pareillement eu l'occasion de démontrer sa fidélité en acte, au lieu de s'en tenir à de simples paroles. Dans le jardin de Gethsémani, lorsque la garde du Temple vient arrêter Jésus, il n'hésite pas à sortir son épée et à livrer combat:

"Simon Pierre, qui avait une épée, la tira, frappa le serviteur du souverain sacrificateur, et lui coupa l'oreille droite. Ce serviteur s'appelait Malchus. Simon Pierre, qui avait une épée, la tira, frappa le serviteur du souverain sacrificateur, et lui coupa l'oreille droite."(Ev. selon saint Jean, 18, 11-12)

Par son acte en effet, Simon Pierre manifestait sa fidélité envers Jésus, une fidélité militante, qui n'hésite pas à prendre l'épée pour le défendre, quitte à en mourir. De cette attitude fort courageuse - on ne voit pas qu'un autre disciple ait fait de même, des générations d'écrivains chrétiens se sont moqués, y discernant un reliquat de la violence intrinsèque à une alliance jugée caduque, dépassée par la révélation de l'Amour Infini qui, au lieu de la vengeance, offre le pardon par le sacrifice ultime pour les siens. Certes! Cela n'enlève pourtant, d'un strict point de vue de morale naturelle, rien de l'attitude méritoire de Simon Pierre, qui a ainsi manifesté - déjà, son désir de témoigner de sa fidélité.

Mais Jésus l'arrête. Il ne lui fait pas ce reproche théologique habituel, auquel il vient d'être fait allusion, mais dit plutôt: "remets ton épée dans le fourreau. Ne boirai-je pas la coupe que le Père m'a donnée à boire?"(18, 12). L'héroisme de Simon-Pierre n'est pas de mise, dût-il aboutir sur la défaite des ennemis de Jésus, dans la mesure où c'est une mort volontaire que ce dernier doit subir. A l'héroïsme de l'épée et du combat doit se substituer, dans la perspective chrétienne, celui de la patiente souffrance sur la Croix. Mais cela, encore une fois, n'enlève rien à la noblesse de Simon-Pierre.

Et, justement, cette impossibilité de prouver de la manière la plus spontanée sa fidélité envers Jésus; n'est-elle pas une des explications de son reniement futur? En effet, dans la Cour du Grand-Prêtre, Simon Pierre, quoique risquant sa vie, demeure dans une situation bancale et transitoire, n'ayant plus les ressources de l'épée ni la force de la Croix, qui, du reste, ne pourra lui être communiquée que "d'en haut" à la Pentecôte. Tout se passe comme si la perte physique de l'épée, sanctionnée et même sanctifiée par l'interdiction christique, lui avait causé un dommage plus grand encore: la perte de son ressort moral intérieur et de cette force qui l'avait un temps rendu capable du sacrifice de sa vie. Dénudé, désorienté, il demeure seul dans le froid et dans la nuit d'un milieu hostile voire ennemi - et tel sera le lot de maint prêtre pour les siècles à venir. Mais voilà; il succombe tout d'un coup à la faiblesse de venir chercher auprès du feu un peu de chaleur; et de se réchauffer encore auprès d'humains comme lui. Hélas, le voilà qui rencontre un proche de ce même serviteur qu'il avait blessé; s'ensuit les triples accusations et le triple reniement. Saint Pierre a perdu son épée.  

3) Dernier élément: entre l'héroïsme de l'épée et l'héroïsme de la Croix, à laquelle, nous le savons par divers documents repris dans la tradition chrétienne, Simon-Pierre paiera finalement son tribut, s'étend une période indécise de formation et d'apprentissage, nécessaire à l'intégration des exigences spécifiques à l'alliance chrétienne, telle qu'elles se sont manifestées dans la vie du Christ et que la Pentecôte rend accessible aux hommes. Et ce n'est pas avant que Simon-Pierre pourra rendre son témoignage. Pendant la Cène, Jésus lui avait dit: "tu ne peux pas maintenant me suivre où je vais"(Jn 36), c'est-à-dire que le martyre sur la Croix ne lui était pas encore destiné. Il n'est pas étonnant qu'il ait défailli en chemin, et n'ait pu se retrouver, aux côtés de Jésus sur le Golgotha: ce n'était pas le moment pour lui, ce que confirme du reste l'Epitre aux Hébreux de l'apôtre Paul (ou d'un de ses disciples), selon laquelle Jésus seul était le Grand Prêtre capable et digne de franchir par son propre sacrifice la frontière entre la Terre et le Ciel.

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