Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
6 août 2015 4 06 /08 /août /2015 19:01

§.1 Le 70ème anniversaire d'Hiroshima aura été commémoré avec discrétion, malgré quelques rappels historiques épars que quelque télespectateur curieux aura pu glaner ça et là dans les media. On aura été déçu, pareillement, par l'absence de débat véritable concernant la justification de cet acte de guerre sans précédent en termes d'éthique de la guerre.

 

Il est d'autant moins étonnant qu'une certaine coïncidence n'a été relevée par personne: en l'occurrence, le bombardement d'Hiroshima a eu lieu le jour de la fête catholique de la Transfiguration. On pourrait ne voir là qu'une coïncidence purement extérieure, imposée par les hasards de la gigantesque combinatoire qui nécessairement résulte de la collision de deux calendriers. Certes. Cependant, un examen plus approfondi des sources disponibles, révélant quelques apparentements aussi imperceptibles qu'intriguants, laissent cependant soupçonner davantage: une sorte d'accord synchronique entre des données culturelles éloignées mais qui, en raison de leur coexistence dans le même temps, semblent communiquer l'une à l'autre quelque chose de ce qu'elles sont. Un esprit métaphysique, sans doute, y pourra lire en filigrane la présence d'un ordre de choses plus élevé, dans lequel la raison d'être des événements s'inscrit dans la trame d'un tissu complexe d'harmonies et de corrélations qui leur confère rétrospectivement leur signification véritable.

 

En l'espèce, l'événement d'Hiroshima, qui a abasourdi le monde entier, doit être lu et compris à la lumière de la fête de la Transfiguration; pareil rapprochement, enfin, aide à comprendre les deux événements préfigurant un événement encore à venir: le dernier événement par excellence, l'événement clôturant le temps: le Jugement Dernier.

 

Avant d'en venir là, toutefois, un double excursus nous permettra de nous familiariser avec certaines données desdits événements. Double car il fait mention non pas au 6 août 1945, mais au 16 juillet 1945, date du test atomique dit "Trinity" à Los Alamos; en outre il se rapporte non au catholicisme mais à l'hindouisme.

 

I. Une transfiguration hindoue: le chapitre 11 de la Bhagavad-Gita.

 

§2. C'est à la tradition hindoue, en effet, que fit référence l'un des scientifiques présent à l'essai, à savoir Robert Oppenheimer (1904-1967), physicien de l'université de Berkeley et l'un des pères de la bombe atomique. Lors de l'essai "Trinity" du 16 juillet 1945, Oppenheimer ne put s'empêcher de faire référence à la Bhagavad-Gita, une épopée de 700 vers faisant partie du cycle du Mahabarata, composé vers le Vème siècle avant Jésus-Christ. Physicien aux intérêts éclectiques, il n'avait en effet pas hésité à étudier le sanskrit à l'Université de Berkeley en 1933 et portait sur lui un exemplaire de ce texte, qu'il consultait souvent.

 

La Bhagavad Gita présente un conflit eschatologique dans lequel la divinité, le dieu Krishna, encourage le prince Arjuna à entrer en guerre, malgré d'inextricables conflits d'allégeance envers des membres de sa famille. Pour le convaincre, Krishna n'hésite pas à se révéler à lui sous sa forme universelle, dans la plénitude de son essence divine, privilège qui ne fut accordé à personne avant lui.

 

Ce sont deux thèmes qui se retrouvent précisément dans le récit relaté par Oppenheimer de l'essai Trinity, motivant de ce fait ses références hindouisantes: la préoccupation morale envers l'utilisation de l'énergie atomique à des fins militaires, et l'impressionnante révélation de la puissance destructrice tapie au cœur de la matière. Il faut dire qu'Oppenheimer, qui avait quelques tendances pacifistes, demeura longtemps hanté par les possibilités nouvelles offertes par la nouvelle arme, et, plus tard, fut un inlassable promoteur du désarmement nucléaire tout en assumant pleinement les bombardements atomiques de 1945.

 

L'extrait video qui suit le montre en train de commenter l'essai nucléaire du 16 juillet:

 

Video

 

« Nous savions que le monde ne serait plus le même. Certains ont ri, certains ont pleuré. La plupart étaient silencieux. Je me suis souvenu d'une ligne du texte hindou, le Bhagavad Gita; Vishnou essaye de persuader le Prince de faire son devoir et, pour l'impressionner, prend son apparence aux multiples bras et lui dit : « Maintenant je suis la Mort, le destructeur des mondes ». Je suppose que nous avons tous pensé cela, d'une façon ou d'une autre. » (Tiré de l'extrait video plus haut cité).

 

Une autre source rapporte l'histoire suivante: "un passage de la Bhagavad-Gita, l'épopée sacrée des hindous, fit irruption dans son esprit: 'si des milliers de soleil apparaissaient ensemble dans le ciel, leur éclat s'approcherait de la splendeur de la divinité' - cependant, une autre citation lui vint à l'esprit lorsque le nuage géant et sinistre apparut au lointain: 'je suis devenu la mort, le destructeur des mondes.'(Robert Jungk, Brighter than a Thousand Suns: A Personal History of the Atomic Scientists, trans. James Cleugh, New York: Harcourt, Brace, 1958, p.201).

 

§3. Un scientifique féru d'hindouisme, interprétant le premier essai atomique en fonction de ses intérêts littéraire - pure coïncidence extérieure? Reprenons le texte même du chapitre 11 de la Bhagavad Gita, en y tentant un rapprochement avec la fête chrétienne de la Transfiguration - dont le détail sera exposé ultérieurement.

 

Comme dans la Transfiguration chrétienne, dans laquelle le Christ se montre à Jean, Pierre et Jacques dans sa gloire divine, Krishna se révèle à Arjuna dans la plénitude de son essence de divinité:

 

« Tout ce que tu désires et désireras voir, le mobile comme l’immobile, vois le à l’instant dans cette forme universelle, car tout s’y trouve, ô Gudâkesha. Mais tu ne peux Me voir avec les yeux qui sont tiens ; Je te confère donc les yeux divins par lesquels tu pourras contempler Mes inconcevables pouvoirs. » Sanjaya dit : ' Ô roi, à ces mots, Dieu, la personne Suprême, maître de tous les pouvoirs surnaturels, montre à Arjuna Sa forme universelle.' (11:7-8)

 

Pour en revenir au texte de la Bhagavad Gita, il est surprenant de constater que ladite 'forme universelle' exprimant le divin en plénitude, est présentée par analogie avec la lumière du soleil:, exactement comme le fait le récit chrétien de la Transfiguration qui parle bien de 'visage éblouissant comme le soleil":

 

« Si les milliers et des milliers de soleil, ensemble, se levaient dans le ciel, peut-être leur éclat s’approcherait-il de celui du Seigneur Suprême dans cette forme universelle. Les mondes, bien qu’infinis et innombrables, Arjuna les voit alors, tous rassemblés en un point unique, en la forme universelle du Seigneur. Sa radiance éblouissante, dont le flamboiement et l’ampleur sont semblables à ceux du soleil, rend Ta forme, parée de multiples couronnes, de masses de disques, difficiles à garder sous les yeux."(11:12, 13; 11.17)

 

Le contexte guerrier - qui n'était pas celui du 16 juillet mais allait être celui du 6 août, est indiqué quelques lignes plus loin, en un passage dans lequel apparaît l'expression "destructeur des mondes":

 

"Le Seigneur Bienheureux dit: 'Je suis le temps, destructeur des mondes, venu porter au combat tous les hommes de ce temps ; vous exceptés, les Pândavas, les guerriers des deux armées en conflit périront. Quant à toi, debout! Sois prêt à combattre. Triomphe de tes ennemis pour jouir ensuite d'un royaume prospère. De par mon ordre, il sont tous déjà morts. Tu ne seras donc, ô Savyasachin, qu'un instrument dans Ma main. Drona, Bhîsma, Jayadratha, Karna et les autres guerriers valeureux, sont tous déjà mis à mort. Combat sans trouble pour vaincre tous tes ennemis." (ch. 11, vv. 32-33)

 

Perspective de guerre sainte, révélation de l'essence en plénitude d'une divinité qui est en même temps destructrice des mondes: ici, la divinité dépasse toute conception ordinaire pour se révéler comme étrangère aux préoccupations et aux valeurs humaines. La divinité dans la splendeur de sa majesté et dans la rigueur de son jugement. Pour l'homme, éblouissement face à la transcendance divine, se révélant ici par excès, et non plus dans le silence et dans la nuit; stupeur face à la rudesse du jugement divin, qui anéantit les univers en un instant. 

 

Comment s'étonner si la révélation de la puissance du feu nucléaire, jusqu'ici inédite, fut interprétée par un Oppenheimer hindouisant comme une hiérophanie, c'est-à-dire une manifestation divine au sein du monde des apparences, celle-là même qui, en l'occurrence, révèle à la fois quelque chose de la gloire divine, immensément éblouissante, et de son pouvoir destructeur. Hiérophanie vécue comme appel au combat eschatologique.

 

§4. La référence d'Oppenheimer à l'hindouisme est d'autant plus significative et remarquable que - on le sait - le national-socialisme lui-même fit d'amples références à l'hindouisme - dont l'eschatologie promettait précisément l'extermination des basses-castes non aryennes. Eschatologie interprétée sous le prisme de la séparation, de la haine, de la division. Et Oppenheimer, le juif hindouisant de New York et de Berkeley, mobilisa ces mêmes références pour motiver l'utilisation de la bombe atomique contre le Japon allié à l'Allemagne nazie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
12 mai 2015 2 12 /05 /mai /2015 00:52
Jean-Paul Richter, Poétique, §73, "De l'idylle"
"L'idylle n'est pas une branche, mais une fleur des trois branches du roman; de telle sorte qu'on ne peut en donner une définition plus vide qu'en disant qu'elle représente cet âge d'or de l'humanité qui a disparu.

On a fait jusqu'ici trop rarement la réflexion suivante: puisque la poésie, dans son écho céleste, transforme en harmonie les dissonances de la douleur, pourquoi n'emploierait-elle pas ce même écho céleste à rendre plus tendre et plus sublime la musique de la joie? C'est ce qu'elle fait, mais on ne s'en aperçoit pas assez et on l'en loue trop peu.(...)

Mais quel effet ferait la poésie joyeuse? Il en existe au moins un petit genre épique, c'est-à-dire l'idylle. C'est une présentation épique du plus grand bonheur possible dans un état borné. Les transports sublimes appartiennent au genre lyrique et au romantisme; car sans cela le ciel du Dante et les cieux disséminés de Klopstock rentreraient dans la catégorie des idylles. L'état borné dans l'idylle peut être relatif tantôt aux biens, tantôt aux lumières, tantôt à la condition sociale, tantôt à tous ces éléments à la fois. Mais comme, par l'effet d'une confusion, on le rapportait surtout à la vie pastorale, une seconde confusion le transportait dans l'âge d'or de l'humanité; comme si cet âge ne pouvait se passer que dans un berceau immobile et non tout aussi bien dans un char volant de Phaéton. Quelle preuve y a-t-il que le premier âge, l'âge d'or de l'humanité, ait été un état borné, et non l'âge le plus riche, le plus libre et le plus éclairé?
Cette preuve du moins ne se trouve pas dans la Bible: elle n'est pas non plus dans l'assertion de quelques philosophes qui prétendent que la floraison de toute notre culture ne peut être atteinte que par une répétition de l'âge d'or, et qu'après un véritable accomplissement de la science et de la vie, les peuples regagneront l'arbre qui porte ces noms, avec le paradis. D'ailleurs la vie pastorale, en dehors du calme et du loisir, n'offre guère mieux  que la vie d'un gardeur d'oies; la terre bienheureuse de Saturne n'est pas un parc de moutons; son lit et son char célestes ne sont pas une charrette de pâtres. Théocrite et Voss, ces Dioscures de l'idylle, ont laissé entrer dans leur Arcadie toutes les conditions inférieures: le premier y appela des Cyclopes; le second introduisit la grosse bourgeoisie dans sa "Louise" et ailleurs. L'"Hermann" et "Dorothée" de Goethe n'est pas un poème épique, mais une idylle épique. Le "Vicaire de Wakefield" est une idylle jusqu'au moment où une infortune propre à la ville vient troubler l'harmonie de cette harpe éolienne, dont les cordes trop fortement tendues rendent alors des sons faux, de telle sorte que la fin déchire le commencement.

Le maître d'école, Wutz, de l'auteur que nous connaissons tous, est une idylle dont je ferais plus de cas que n'en font d'autres critiques, si mes relations personnelles avec cet auteur me le permettaient; le Fixlein et le Fibel du même auteur rentrent également dans cette catégorie. La vie même de "Robinson Crusoé", celle de Jean-Jacques sur son Ile de Saint Pierre, nous réjouissent du parfum et des douces couleurs de l'idylle. On peut élever au rang d'une idylle le voyage à pied ou en voiture, d'un roulier qui trouverait du beau temps, de bonnes routes, des repas plantureux (...). Si l'on veut d'autres exemples, les jours de vacances d'un pédagogue, les journées blanches d'un artisan, le baptême du premier enfant, et même ce premier jour où la fiancée d'un prince, lasse des fêtes de la cour, roule enfin, seule avec son prince (leur suite se tient à une certaine distance) vers un ermitage plein de fleurs, tout cela peut devenir la matière d'une idylle; tous peuvent chanter: "Et nous aussi nous avons été en Arcadie."




Partager cet article
Repost0
11 mai 2015 1 11 /05 /mai /2015 15:37

Qui sait que le monde slave actuel, déchiré et meurtri, riche, aussi, de traditions spirituelles et artistiques inégaliées, doit les grands contours de sa physionomie à deux grecs du IXème siècle après Jésus-Christ?

 

 

Le neuvième siècle! Après la mort de Charlemagne (814), les héritiers commencent à se partager l'empire divisé (843). La splendide renaissance carolingienne s'essoufle, alors que l'Europe sombre dans les divisions et, faute d'autorité politique suffisamment puissante, entre dans l'ère de la féodalité. Le flambeau de la civilisation, alors, semble prêt à passer au monde slave, monde rude, sauvage mais tout empreint de cette naïveté propre aux peuples qui s'adonnent aux nécessités de la vie dans l'atmosphère enchantée de leurs croyances ancestrales. Après deux vagues d'invasion, les premiers Etats s'organisent, le royaume de Samo, celui de Grande Moravie puis celui de Pologne. Il ne s'agit encore que de chefferies fédérant des tribus éparses, réunies par une langue et une culture commune - ce n'est en fait qu'au siècle suivant que les différents peuples slaves divergeront linguistiquement et formeront de véritables monarchies. Un monde neuf, brut, orphelin, à l'instar de ces immenses steppes s'étendant de la plaine hongroise jusqu'en Asie Centrale; monde riche en promesses et en potentialités, et qui, on le verra, devait hésiter quelque siècles entre plusieurs civilisations avant de revêtir la physionomie culturelle qui est désormais la sienne aujourd'hui.



C'est ici qu'entrent en jeu Cyrille (827-869) et Méthode (815-885), nés à Thessalonique d'une fratrie de sept enfants dans le foyer d'un responsable militaire byzantin, ils sont pris sous la protection du premier ministre de Byzance après la mort de leur père. Ils reçoivent une éducation solide à Constantinople, surtout Cyrille, qui est bientôt appelé "Constantin le Philosophe." Ils deviennent alors fonctionnaires de l'administration impériale. Constantin, en particulier, devient ambassadeur et participe à une mission auprès du calife de Bagdad. Mais son frère, lassé de sa charge de fonctionnaire de province, se fait bientôt moine et, peu après, Cyrille le rejoint.

 

Khazaria_map_from_600_till_850.jpg

 

Cette retraite loin du tumulte du monde aurait dû leur assurer la tranquillité de l'âme et le repos du corps. Il n'en fut rien. Ils sont bientôt envoyés aux confins de la mer Noire, dans le mystérieux royaume khazar, fondé par une tribu turcique originaire d'Asie centrale qui s'était établi maîtresse des routes commerciales reliant l'empire byzantin et la Russie de Kiev à la lointaine Chine. Le royaume, devenu multiethnique et plurilingue, n'avait pas vraiment de religion officielle, si ce n'est de vieilles traditions asiatiques encore en usage au sein de la noblesse et du peuple et qui survivaient à côté de religions plus dynamiques et culturellement plus avancées comme le christianisme et, surtout, le judaïsme. Le Khanat de Khazarie, très vite, se trouva aux prises avec les armées arabes, qui déferlaient avec fougue et violence sur le Moyen-Orient. Dès après leur conquête de l'Arménie en 640, les forces arabes poussèrent jusqu'en Khazarie en 642. S'ensuivirent d'interminables décennies d'une guerre impitoyable qui devait se prolonger jusqu'en 799, et marquées par deux affrontements majeurs, l'un vers et l'autre vers 642-652. Les Khazars, en fait, avaient eu tout d'abord la haute main sur leurs adversaires, minés dans leur ardeur conquérante par deux guerres civiles vers 660 et vers 680-695. Mais les forces arabes s'étaient resaissies et, dès 722 se relancèrent dans la bataille. Après des combats acharnés de part et d'autres, les forces arabes défirent les Khazars en 737. Le royaume fut vassalisé et forcé de se convertir à l'Islam. Les Khazars, cependant, parvinrent à secouer le nouveau joug et reprirent leur indépendance.




C'est dans ces circonstances qu'ils choisirent le judaïsme. Choix curieux de prime abord, mais explicable par plusieurs facteurs. Tout d'abord, les arabo-musulmans se refusaient à signer tout traité de paix avec des païens idolâtres. Ces derniers devaient être combattus avec la dernière énergie en une lutte qui ne devait s'achever que par leur subjugation complète ou leur conversion. D'où le traité de 737, imposant la conversion des Khazars à l'Islam. Mais, d'une façon générale, les arabes acceptaient de passer des traités avec des peuples adhérant à l'une des religions reconnues par le Coran, parmi lesquelles le Christianisme et le Judaïsme. La conversion au judaïsme, dans ce contexte, effectuée à cette époque par le Khan Joseph, permettait aux Khazars de pouvoir traiter avec les arabes en un moment-clef où les lignes de force des deux puissances s'étaient finalement établies, tout en affirmant leur indépendance par rapport à l"empire byzantin orthodoxe. On a pu invoquer d'autres motifs, du reste nullement contradictoires avec ces derniers: forte présence de juifs en Khazarie, fuyant les conversions forcées de l'Empire Byzantin, apparition d'un ange lors d'une bataille, disputation devant le souverain de représentants respectifs des trois monothéismes, etc.



La mission de Constantin (Cyrille) auprès des Khazars en 860, sur la demande de l'Empereur Michel III et du patriarche de Constantinople Photius, son ancien professeur, mêlait indissolublement, comme toujours dans la diplomatie byzantine, le politique et le spirituel, le géographique et le dogmatique, le linguistique et le liturgique. Il s'agissait avant tout de renforcer les liens unissant les Khazars et l'empire byzantin face à la menace croissante des Petchénègues et surtout de nouveaux venus sur la scène internationale, les Russes. En essayant notamment d'éloigner les khazars du judaisme et de leur faire adopter le christianisme byzantin, déjà présent comme minorité religieuse dans l'empire khazar et, également, en Crimée. Il ne semble pas, toutefois, que l'entreprise de Constantin ait été suivie de succès.  

Partager cet article
Repost0
10 août 2014 7 10 /08 /août /2014 00:44

Les événements qui ont récemment embrasé le Proche-Orient montrent à quel point les vives tensions qui parcourent la région sont, au moindre incident de quelque envergure, susceptibles de dégénérer en un affrontement sanglant dans lequel les pertes humains sont toujours plus nombreuses et les haines toujours plus intenses, créant un environnement de moins en moins propice à l'instauration d'une paix durable.


En particulier, le grand nombre de victimes civiles, du côté palestinien, a particulièrement ému l'opinion internationale, d'autant que se trouvaient parmi elles des enfants. Donnée cruciale, sur laquelle on ne saurait trop insister. Par delà les deuils encourus dans les familles palestiniennes et les émois de l'opinion, ces morts d'enfants, en effet, remettent en cause l'existence même de l'Etat d'Israël, à la fois comme entreprise temporelle et comme projet spirituel.

 

Rappelons les faits. 12 juin 2014, trois adolescents réservistes de Tsahal sont assassinés. Le 2 juillet, un adolescent palestinien est assassiné, vraisemblablement par des extrémistres juifs, alors que Tsahal commence à mener des opérations contre le Hamas en Cisjordanie. Le Hamas lance alors une riposte depuis Gaza, territoire qu'il contrôle. Le 6 juillet, les troupes de Tsahal attaquent Gaza et le 8 juillet l'opération Protective Edge est lancée.

 

Le conflit fait, côté israélien, 68 morts (66 soldats et 2 civils). Du côté palestinien, 1904 morts et 9800 blessés selon le Ministère de la Santé de Gaza; 1922 morts, selon l'OCHA (agence de l'ONU), dont 683 femmes et enfants. La disproportion des moyens employés, l'ampleur des pertes civiles du côté palestinien scandalisèrent l'opinion publique internationale, alors que les experts de Tsahal s'inquiètent des progrès effectués par le Hamas (missiles lancés sur Tel Aviv, jusque là épargnée, construction de tunnels souterrains entre la bande de Gaza et Israël).

 

I. La notion de guerre juste chez saint Thomas d'Aquin

 

Alors que le conflit israélo-palestinien tombe dans une sanglante routine où attaques et répressions alternent, une question se pose: une armée en campagne peut-elle se comporter selon certains critères éthiques? Cette question, qui a l'air d'être peu théorique, s'enracine dans une discussion philosophique vieille de plusieurs millénaires, relative à la question de la "guerre juste." Dans quelle mesure la guerre est-elle souhaitable? Dans quelle mesure des actes de guerre peuvent être dits licites ou non?

 

La discussion, qui est déjà présente dans la notion augustinienne de 'guerre juste', est reprise par saint Thomas d'Aquin, (ST II-II, Q.64, art. 7) au fil d'une interrogation sur la légitime défense. Selon son habitude, saint Thomas examine plusieurs objections à la cette dernière:l'ordre moral selon lequel tout homicide est interdit, par ailleurs formellement exprimé dans le Décalogue ("tu ne tueras pas"), interdiction redoublée, en quelque sorte, par le Nouveau Testament, qui interdit l'auto-défense (Rom 12:19). Un théologien pourrait en outre - ce que ne fait pas saint Thomas, qui examine ici la morale naturelle et révélée que peut suivre le chrétien, citer l'exemple du Christ, qui ne s'est pas défendu à son procès, et a subi les outrages de la Passion sans réagir.

 

Il est possible de répondre à ces objections de la manière suivante. Tout d'abord, l'interdiction de l'homicide présente dans le Décalogue est une interdiction de droit privé, non de droit public. Une bonne traduction serait ainsi: "tu n'assassineras pas", c'est-à-dire qu'un particulier ne peut, en tant que tel, mettre à mort une autre personne pour quelque motif que ce soit. L'Etat, seul détenteur de la violence légitime, se réserve le droit de tuer, et l'Ancien Testament comporte de nombreux commandements stipulant la mise à mort d'un individu sous certaines conditions.

 

Concernant l'interdiction de se défendre de Romains 12:19, Saint Thomas rappelle une tradition exégétique chrétienne selon laquelle se défendre signifie ici "se venger" en rendant coup sur coup. Enfin, l'exemple du Christ ne peut valoir ici, dans la mesure où il a, en théologie chrétienne, une valeur sacrificielle, et non une valeur légale réglant le cours ordinaire de la vie sociale.

 

Ces objections ainsi écartées ouvrent la possibilité, en droit privé, de se défendre soi-même. Possibilité définitivement affirmée par Saint Thomas. Comme à son habitude, il appuie sa thèse sur deux sources: la révélation et la nature. Pour la première, il cite Exode 22:2: « Si le voleur est surpris en train de percer un mur, et qu'alors il soit blessé mortellement, celui qui l'a frappé ne sera pas responsable du sang versé. » Il continue "Mais il est bien davantage permis de défendre sa propre vie que sa maison. Donc, même si l'on tue quelqu'un pour défendre sa vie, on ne sera pas coupable d'homicide."

 

La seconde source est de droit naturel (raison). Ici, saint Thomas introduit une théorie dite du double effet, dans un passage que je cite in extenso:


"Rien n'empêche qu'un même acte ait deux effets, dont l'un seulement est voulu, tandis que l'autre ne l'est pas. Or les actes moraux reçoivent leur spécification de l'objet que l'on a en vue, mais non de ce qui reste en dehors de l'intention, et demeure, comme nous l'avons dit, accidentel à l'acte."


En d'autres termes, la valeur morale d'une action réside dans son intention (premier effet) et non dans sa réalisation, qui est contingente et dépend d'autres facteurs que des facteurs strictement moraux. En l'espèce, la conservation de sa propre vie, qui est une maxime de droit naturel, constitue, dans la légitime défense, son essence et fonde sa valeur. Si, pour la réaliser, on doit tuer l'agresseur (deuxième effet), on entre dans la sphère des moyens propres à la réalisation de cet objectif moral.  


"Ainsi l'action de se défendre peut entraîner un double effet: l'un est la conservation de sa propre vie, l'autre la mort de l'agresseur. Une telle action sera donc licite si l'on ne vise qu'à protéger sa vie, puisqu'il est naturel à un être de se maintenir dans l'existence autant qu'il le peut."


La légitime défense est donc moralement et légalement légitime, mais saint Thomas ajoute une contrainte conditionnant la défense à un impératif de proportionnalité des moyens utilisés, en l'occurrence, de la violence privée ainsi mise en oeuvre:


"Cependant un acte accompli dans une bonne intention peut devenir mauvais quand il n'est pas proportionné à sa fin. Si donc, pour se défendre, on exerce une violence plus grande qu'il ne faut, ce sera illicite. Mais si l'on repousse la violence de façon mesurée, la défense sera licite. Les droits civil et canonique statuent, en effet: « Il est permis de repousser la violence par la violence, mais avec la mesure qui suffit pour une protection légitime. »"


Saint Thomas, ensuite, ajoute une remarque insérant ce raisonnement de droit naturel, appuyé sur l'exemple biblique de l'exode, dans l'optique chrétienne du salut:


"Et il n'est pas nécessaire au salut que l'on omette cet acte de protection mesurée pour éviter de tuer l'autre; car on est davantage tenu de veiller à sa propre vie qu'à celle d'autrui."


Saint Thomas fait une dernière remarque: la légitime défense est moralement acceptable, mais non légalement admissible. En d'autres termes, le raisonnement précédent est de morale naturelle, non de droit naturel ou de droit civil. Si un particulier tue un individu par légitime défense, il sera, en tant qu'homicide, susceptible d'être déféré devant les tribunaux, même s'il pourra être subséquemment acquitté en vertu, précisément, de la légitime défense. Ainsi: 


"Mais parce qu'il n'est permis de tuer un homme qu'en vertu de l'autorité publique et pour le bien commun, nous l'avons montré, il est illicite de vouloir tuer un homme pour se défendre"


b) La force publique et l'épée de justice.

 Précédemment, saint Thomas d'Aquin, avait montré, dans son article 3, que seule la personne publique est susceptible de mettre un particulier à mort, que ce soit dans le cadre de la sécurité intérieure ou de la défense. Il reprend une théorie augustinienne:


"Il n'assassine pas celui qui est aux ordres de qui lui commande, de même qu'une épée est simplement l'instrument de celui qui la porte"(Saint Augustin, De Civ. Dei I, 21).


C'est dans cet esprit que le passage précédent continue de la façon suivante:

 

"il est illicite de vouloir tuer un homme pour se défendre à moins d'être investi soi-même de l'autorité publique. On pourra alors avoir directement l'intention de tuer pour assurer sa propre défense, mais en rapportant cette action au bien public; c'est évident pour le soldat qui combat contre les ennemis de la patrie et les agents de la justice qui luttent contre les bandits. Toutefois ceux-là aussi pèchent s'ils sont mus par une passion personnelle."


II. Guerres justes et injustes: Michael Walzer

Aux lendemains de la guerre du Vietnam, les débats concernant la guerre juste sont rouverts, tout particulièrement par le philosophe américain Michael Walzer (Just and Unjust Wars, 1977), militant pacifiste désireux de justifier son engagement contre cette guerre. Walzer lit et reprend les données de la tradition augustinienne et thomiste concernant la guerre juste, en la modifiant sur quelques points.

 

En résumé, selon Walzer, un acte de guerre légitime doit répondre à certaines normes. Par exemple, ne cibler que des militaires. En outre, sa reprise de la théorie thomiste du double effet subit deux modifications notables: le double effet s'applique si et seulement si...


(1) Il a pour finalité un acte de guerre légitime, ce qui comprend notamment le respect des droits de l'homme: "un acte de guerre légitime ne doit pas violer les droits humains du peuple contre lequel il est dirigé."(Michael Walzer, Just and Unjust Wars, ch.9, p.153).


(2) Meurtre et destruction doivent être les moyens, non la fin de cet acte de guerre. Par ailleurs, Walzer reprend la contrainte de proportionalité de saint Thomas, telle qu'elle a été reprise par le philosophe anglais Sidgwick, tout en soulignant qu'elle demeure passablement difficile à évaluer (c'est un critère 'difficile à mettre en oeuvre', p.129, ch.8). 


Surtout, Walzer introduit une version légèrement modifiée de la théorie du double effet en modifiant le point (1).

 

C'est la théorie de la "double intention": s'ajoute une nouvelle intention, une nouvelle fin visée par l'acte: "conscient du mal provoqué, [l'agent] cherche à le minimiser en prenant sur lui-même les coûts [inférés]." Il s'agit ainsi de défendre son peuple tout en reconnaissant les droits humains de la partie adverse par la minimisation des souffrances ou des destructions ainsi infligées.


Ces deux théories peuvent être appliquée à la question des cibles civiles. Un acte de guerre légitime requiert de ne viser que des militaires. Mais il se peut que, dans certaines circonstances, certains actes de guerres, par ailleurs légitimes, conduisent à la mort de civils de l'autre camp. Ils demeurent cependant légitimes en vertu des théories du double effet et de la double intention et surtout des restrictions qu'elles lui imposent. A ce titre, non seulement l'acte de guerre doit être proportionné, dans l'usage de la force et les moyens utilisés, à son objectif militaire, non seulement il doit respecter les droits humains des civils ennemis, mais surtout il doit avoir pour objectif complémentaire de minimiser, par le déploiement de moyens adéquats, les souffrances infligées - ce qui va plus loin que restreindre l'usage de la force par l'impératif de proportionnalité.

 

La question se pose avec une acuité toute particulière dans les cas de la guérilla et du terrorisme, auxquels. Walzer leur consacre en effet deux chapitres. Ces deux phénomènes ont un point commun: ils abolissent la distinction entre civils et militaires, entre civils et militaires ennemis dans le cas de la guérilla, entre civils et militaires amis dans le cas du terrorisme.

 

Dans le cas de la guérilla: "les guérillas ne subvertissent pas les conventions de la guerre en attaquant elles-mêmes les civils (...) Elles invitent plutôt leurs ennemis à le faire. En refusant d'accepter une seule identité [soldat ou civil], elles rendent impossible pour leurs ennemis d'accorder aux combattants et aux non-combattants leurs 'privilèges distincts'"(ch. 11, pp. 179-180).

 

Dans le cas du terrorisme, "forme totalitaire de guerre" "brisant les conventions de guerre et le code politique", "détruisant les limites morales au-delà desquelles aucune limitation ne semble plus possible, car à l'intérieur des catégories de civils et de citoyens, il n'existe pas d'autre groupe pour lesquels l'immunité puisse être garanties. Les terroristes, de toutes façons, ne font pas de telles différences; ils tuent tout le monde."(p.203).


La réponse au terrorisme et aux situations de guérilla doit ainsi, de façon parfois embarrassante pour la pure stratégie militaire:

1) éviter des réponses mûes par l'instinct de vengeance et la passion

2) répondre de façon proportionnée

3) en respectant les droits humains des populations concernées

4) en prenant toutes les mesures nécessaires pour minimiser les coûts de destruction et de pertes humaines.


Ces aménagements non négligeables ne doivent pas faire oublier que, pour Walzer, la théorie du double effet s'applique bel et bien dans le cas où l'on ne peut faire l'économie de morts civiles. En d'autres termes, si des morts civiles ennemies sont indispensables à la réalisation d'un objectif militaire légitime, alors elles doivent être acceptées, avec les restrictions apportées par saint Thomas d'Aquin puis Michael Walzer.


III. Le code éthique de Tsahal: Asa Kasher

a) Ruach Tsahal (1994)

La plupart des armées du monde dispose d'un code éthique détaillant les valeurs et les normes que le soldat doit respecter tant dans sa vie de caserne que dans les engagements militaires. Les écarts par rapport à ce code de conduite peuvent faire l'objet de sanctions d'envergure diverse.


L'armée israélienne ne fait pas exception. Elaboré à partir d'un projet datant de 1992, le code de conduite de Tsahal, Ruach Tzahal, a été élaboré en décembre 1994 par Ehud Barak, chef d'Etat-Major aux armées et Asa Kasher, professeur à l'Université Hébraïque de Jérusalem. Il est fondé, selon ses premiers paragraphes, sur quatre sources: la tradition juive, militaire, politique et religieuse, ainsi que sur des "valeurs morales universelles." Une tendance universaliste se fait en effet remarquer à l'occasion du serment proféré à l'occasion de certaines cérémonies: le soldat peut en effet prêter serment sur le Tanakh (version juive de l'Ancien Testament), la Bible et le Coran.


Asa Kasher s'est visiblement inspiré des travaux de Michael Walzer, en accordant une place particulière à la notion de droit humain. Selon sa "troisième valeur fondamentale", le soldat doit prendre en considération la "dignité humaine" de son adversaire, en conséquence de ce que "tous les humains ont une dignité, quelque soit leur race, leur croyance, leur nationalité, leur sexe, leur statut ou leur rôle." 


En complément de ces "valeurs fondamentales", plusieurs "valeurs additionnelles" sont par ailleurs détaillées. Deux d'entre elles peuvent retenir l'attention:


(1) la "sainteté de la vie", c'est-à-dire un "soin constant pour éviter les dommages faits à la vie dans la mesure précise exigée pour l'accomplissement de la mission." On reconnaît ici la théorie du double effet.

 

(2) la "pureté des armes", par lequel le soldat doit "éviter tout mal non nécessaire à la vie humaine et au corps humain, à la dignité et à la propriété dans l'utilisation des forces armées", en ayant une "considération spéciale pour les êtres sans défense." On reconnaît ici le principe de proportionalité et la notion de droit humain.


Ces principes revêtent une importance particulière, dans la mesure où ils se retrouvent dans les "principes fondamentaux" que doit suivre le combattant israélien: il doit traiter le civil ennemi "en accord avec la lettre et l'esprit des lois de la guerre."(§21) et adhérer "de façon stricte aux principes de pureté des armes et à l'éthique du combat".


b) Le débat Walzer-Kasher

Une dizaine après la parution du manuel, Kasher sentit la nécessité de poursuivre ses réflexions par une série d'articles.

 

Le premier, "Assassination and Preventive Killing", s'attache à justifier l'assassinat ciblé de responsables terroristes par Tsahal ou les services israéliens. Le deuxième, "Military Ethics of Fighting Terror: An Israeli Perspective" souligne les limites des réflexions précédentes dans le cas de la lutte contre le terrorisme, dans la mesure où elles avaient été surtout motivées par les guerres conventionnelles. 

 

Il s'agit en effet d'effectuer une "extension de la théorie classique de la guerre juste", un "troisième modèle" étant nécessaire, outre celui concernant les guerres classiques et la sécurité intérieure, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. En fait, il ne s'agit que d'appliquer de façon plus complète la théorie du double effet à cette dernière. Asa Kasher conclut ainsi que les frappes ciblées sont justifiables même si elles entraînent la mort de civils se trouvant à proximité. Et si les terroristes, par calcul cynique, entourent à dessein des installations sensibles de civils de leur camp, c'est alors à eux qu'incombe la responsabilité des morts encourues.

 

Un entretien de 2009 paru dans Haaretz, "The Philosopher who gave the IDF moral justification in Gaza"(Amos Harel, 6 février 2009) confirme cette idée: "il n'y a pas de justification à mettre en danger la vie de soldats [israéliens] afin d'éviter la mort de civils qui vivent à proximité des terroristes." L'objectif premier est l'objectif militaire, l'objectif qui vient en deuxième lieu est la protection de la vie des soldats, et, en troisième lieu, la protection des civils ennemis.


Ces précisions ont suscité l'intérêt de Michael Walzer, qui a jugé bon de réagir au premier article "Assassination and Preventive Killing", en critiquant la ligne de défense - ou plutôt d'attaque - de Kasher. La réponse de Kasher tient en deux points:


1) Michael Walzer "abolit la doctrine du Double Effet en demandant qu'un Etat traite tout non-combattant comme s'il était un de ses citoyens." Or, selon Walzer lui-même, cette doctrine est justifiable. Elle s'appuie sur le droit de tout Etat à assurer sa survie et son devoir de protéger ses citoyens par tous les moyens adéquats. Abolir cette doctrine, selon Kasher, revient alors à "encourager de fait le terrorisme et à le promouvoir."

 

2) C'est ainsi que la valeur de "pureté des armes" de Tsahal exige de tout soldat qu'il fasse de son mieux pour éviter de causer du tort aux non-combattants ou à leurs propriétés, pour autant, cependant, qu'ils ne mettent pas leur vie en danger ou celle de leurs camarade.


3) Enfin, Kasher insiste sur le principe de minimisation: l'IDF a bien intégré ce principe, en préparant des procédures spéciales, à sa charge, visant à épargner des non-combattants du camp adverse: tracts lancés dans les territoires concernés, envoi massif de SMS sur les portables des habitants concernés, utilisation de bombes non mortelles en guise d'avertissement, etc. 

 

Ces discussions, face à l'émoi soulevé dans l'opinion publique par la riposte israélienne contre Gaza, peuvent sembler quelque peu vaines et malvenues. Il n'en reste pas moins que cet effort de codification des règles de la guerre, s'appuyant sur des principes éthiques, ne doit pas être négligé, d'autant qu'il tend à devenir normatif pour l'armée d'un grand pays souverain.

 

Il peut néanmoins être critiqué sur trois points - qui feront l'objet de présentations ultérieures:

 

(i) les restrictions apportées à l'acte de guerre légitime sont-elles suffisantes dans l'absolu?

(ii) dans quelle mesure les écarts par rapport à ces normes sont-elles efficacement sanctionnées?

(iii) dans quelle mesure peuvent-elles s'inscrirent avec pertinence dans le contexte plus vaste du conflit israélo-palestinien?

 

 

Liens.

 http://jcpa.org/conferences/

 http://www.btselem.org/gaza_strip/201407_families

 http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-4556016,00.html

https://www.facebook.com/photo.php?v=706773732727983

 http://www.modia.org/infos/israel2/nouvelles.php

http://avalon.law.yale.edu/20th_century/hamas.asp

http://shalem.ac.il/en/personnel/asa-kasher/

http://jcpa.org/overview_palestinian_manipulation/

http://jcpa.org/article/hamas-psychological-military-strategies-israel/

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
1 août 2014 5 01 /08 /août /2014 19:33

Dans ces rapports plus ou moins conflictuels qui embarassent la moitié de l'humanité, à défaut de cette paix qui devrait l'embrasser, et en attendant cette guerre qui va l'embraser, il est loisible de vite distinguer une asymétrie certaine. Hommes et femmes, en effet, selon le triple témoignage de l'observation commune, de la sagesse populaire et des études scientifiques, n'ont pas les mêmes attentes les uns par rapport aux autres. Pour prendre une image condensant cette idée, les hommes auraient besoin des femmes à la façon d'oiseaux en recherche de quelque branche où se poser; l'analogie vaudrait pour les femmes, également, mais de façon inversée...

La Bible, document millénaire de sagesse humaine, sinon divine, précise ainsi: "là où il n'y a pas de femme, l'homme erre en se lamentant."(Si 36:30), sans que nulle part la réciproque soit clairement établie. Du reste, il s'agit moins d'une question de pure sentimentalité que d'une question de vocation et de réalisation, comme le contexte le laisse clairement entendre: "celui qui acquiert une femme a le principe de la fortune, une aide semblable à lui, une colonne d'appui. Faute de clôture, le domaine est livré au pillage."(Si 36:25).

Ce constat se retrouve, curieusement, comme naturellement inscrit dans la façon dont les hommes de l'Antiquité concevaient le sacerdoce. Un ouvrage certes vieilli, mais dont la lecture est toujours instructive, la Cité Antique de Fustel de Coulanges, fait cette intéressante remarque:

"La femme a des droits, car elle a sa place au foyer; c'est elle qui a la charge de veiller à ce qu'il ne s'éteigne pas. C'est elle surtout qui doit être attentive à ce qu'il reste pur; elle l'invoque, elle lui offre le sacrifice. Elle a donc aussi son sacerdoce. Là où elle n'est pas, le culte domestique est incomplet et insuffisant. C'est un grand malheur pour un Grec que d'avoir un 'foyer privé d'épouse'. Chez les Romains, la présence de la femme est si nécessaire dans le sacrifice, que le prêtre perd son sacerdoce en devenant veuf."(pp.107-108). 

Lorsqu'on parle du 'foyer', de 'dimension domestique' du sacerdoce féminin, il faut comprendre par là une réalité plus vaste que ce dont le monde moderne peut donner l'exemple. En premier lieu, la maison, l'oikos (d'où 'économie'), était véritablement une unité autonome avec ses champs, ses vergers, son personnel. La fonction de la femme était celle d'une "maîtresse de maison" au sens le plus large du terme, à l'homme la tâche de représentation au sein de la Cité. Ensuite, le 'foyer' était, littéralement, un domaine centré sur un feu sacré, symbole vivant de la divinité, qui devait être en permanence alimenté. Par là, les dieux, ou le plus souvent les ancêtres, accordaient grâces et bénédiction à la Maison tout entière.

Il est à remarquer, en outre, que, dans l'Antiquité, la royauté avait une dimension nettement sacerdotale: "la principale fonction d'un roi était donc d'accomplir les cérémonies religieuses. Un ancien roi de Sicyone fut déposé, parce que, sa main ayant été souillée par un meurtre, il n'était plus en était d'offrir les sacrifices. Ne pouvant plus être prêtre, il ne pouvait plus être roi."(Id., p.204). Peut-on en inférer que, par transitivité, le roi ne pouvait être roi sans une reine?

Malgré le caractère éminemment patriarcal de la cité antique, la femme avait donc son rôle à jouer, d'une façon qui peut encore nous inspirer aujourd'hui, à nous, les tard-venus, qui nous nous enorgueillissons volontiers de nos prétendues avancées sociales.


"Qui est celui-ci qui vient d'Edom, De Botsra, en vêtements rouges, En habits éclatants,

 Et se redressant avec fierté dans la plénitude de sa force?

-C'est moi qui ai promis le salut, Qui ai le pouvoir de délivrer. -

Pourquoi tes habits sont-ils rouges,

Et tes vêtements comme les vêtements de celui qui foule dans la cuve? -
 

J'ai été seul à fouler au pressoir,

Et nul homme d'entre les peuples n'était avec moi;

Je les ai foulés dans ma colère, Je les ai écrasés dans ma fureur;

Leur sang a jailli sur mes vêtements, Et j'ai souillé tous mes habits.
 

Car un jour de vengeance était dans mon coeur, Et l'année de mes rachetés est venue.
 

Je regardais, et personne pour m'aider; J'étais étonné, et personne pour me soutenir;

Alors mon bras m'a été en aide, Et ma fureur m'a servi d'appui.
 

J'ai foulé des peuples dans ma colère, Je les ai rendus ivres dans ma fureur,

Et j'ai répandu leur sang sur la terre."(Isaïe 36,1-5)

 

 

 


 


Partager cet article
Repost0
9 juillet 2014 3 09 /07 /juillet /2014 03:20

Figures eschatologiques de l'Evangile de Jean (sur Jn 1, 25)

Le prologue de l'Evangile de Jean se continue par une péricope concernant Jean le Baptiste, dont un examen attentif montre quelques éléments surprenants. Par une série de questions que les Juifs de Jérusalem, extenués d'attendre le Messie, envoient par des prêtres au Baptiste, elle centre provisoirement l'attention du lecteur sur ce dernier, avant que par autant de dénégations il renvoie la messianité au Christ.

Voilà le passage en question:

"Et voici quel fut le témoignage de Jean lorsque, de Jérusalem, les Juifs envoyèrent vers lui des prêtres et des lévites pour lui poser la question: 'qui es-tu?'. Il fit une déclaration sans restriction, il déclara: 'je ne suis pas le Christ'. Et ils lui demandèrent: 'qui es-tu? Es-tu Elie?" Il répondit: 'je ne le suis pas.' - Es-tu le Prophète? Il répondit: "Non".(Jn 1, 19-21).

La question attendue: "'es-tu le Messie'?" se double en fait de deux autres, inattendue pour le lecteur d'aujourd'hui, mais qui, si on se permet ce jeu de mot, n'en est pas moins révélatrice de la triple attente du peuple Hébreu: ce dernier n'attendait pas seulement le Messie, mais également Elie, l'ultime précurseur avant le jugement eschatologique (Malachie 4:5), et un mystérieux Prophète dont on ne sait pas grand chose, si ce n'est peut-être que Moïse fait allusion à lui (Dt 18:18).

Une tradition juive éclaire peut-être cette énigme, à partir d'un passage tout aussi énigmatique de Za 1:28. Là, quatre 'cornes' (=rosh=têtes=princes, dirigeants) menacent et oppriment Israël avant d'être à leur tour détruits par quatre 'forgerons', que la tradition assimile précisément à quatre autres princes. Ces princes ont un rôle eschatologique, et la tradition les assimile au Messie fils de David, au Messie fils de Joseph, à Elie et au Prêtre Eschatologique. On retrouve là les trois attentes eschatologiques, le Messie étant dédoublé en Messie fils de David et Messie fils de Joseph.

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
17 avril 2014 4 17 /04 /avril /2014 20:31

TheLastSupper550x286.jpgLa dernière Cène

En ce temps de Pâques, des centaines de millions de Catholiques célèbrent la Passion de Jésus-Christ, centrale dans la foi chrétienne. Cette Passion commence paradoxalement par un repas mêlant la tradition grecque du banquet, où le Maître, entouré de ses disciples, dispense un dernier enseignement, et la fête juive de la Pâques, commémorant la libération du peuple hébreux de sa servitude égyptienne par le sacrifice et la manducation d'un agneau nouveau-né. Là, dans une humble demeure de Jérusalem, se profile déjà la mort tragique de Jésus, pendant le Vendredi Saint.

Un des épisodes les plus connus de la Sainte Cène, le dernier repas du Christ, est la fameuse sortie de Pierre, qui, de toutes ses forces, et non sans générosité, conteste ses propos laconiques et sombres:

"Simon-Pierre lui dit: 'Seigneur, où allez-vous?' Jésus répondit: 'où je vais, tu ne peux me suivre à présent; mais tu me suivras plus tard.' Seigneur, lui dit Pierre, pourquoi ne puis-je vous suivre à présent? Je donnerai ma vie pour vous." Jésus lui répondit: "Tu donneras ta vie pour moi! En vérité, en vérité, je te le dis, le coq ne chantera pas que tu ne m'aies renié trois fois."(Evangile selon saint Jean, ch. 13, 36-38)

Quelques lignes plus loin, nous lisons la prophétie de Jésus se réaliser: Simon-Pierre, ayant suivi de loin Jésus, après son arrestation, avec un autre disciple, entre dans la Cour du Grand-Prêtre. Là, il cherche à se chauffer auprès d'un feu, mais une servante le reconnaît, et il entre dans son fameux reniement.

Certainement, Jésus ne fut pas sans connaître quelque dépit, en livrant sa prophétie; il n'en reste pas moins que l'épisode demeure l'un des plus célèbres de la Passion du Christ. Chaque année depuis un peu moins de 2000 ans, les fidèles entendent le récit du 'reniement' de saint Pierre, dont la personnalité se trouve comme entièrement réduite à cet épisode malheureux. Des générations de Catholiques, et plus généralement de chrétiens, des dizaines d'écrivains catholiques ont commenté, brodé, discuté, condamné les passages en question, en une sorte d'immense procès qui dure depuis 2000 ans et qui ne semble pas avoir de fin.

Voulant prendre cette tradition séculaire à contretemps, l'auteur de ces lignes voudrait attirer l'attention de l'amateur de religions sur les faits suivants.

1) Dans l'Evangile selon saint Matthieu et l'Evangile de saint Marc, nous avons cette précision intéressante: "Pierre lui répondit: 'quand il me faudrait mourir avec toi, je ne te renierai pas'. Et tous les disciples dirent la même chose."(Mt 27, 35; Mc 15, 31) L'impétuosité imprudente de saint Pierre, révélée à l'occasion de cette protestation de fidélité, n'était donc pas le seul apanage du Prince des Apôtres; elle se partageait également entre tous les disciples. Il y a donc quelque imprudence à lui reprocher son reniement, alors que, de tous les apôtres ou presque, lui seul mit sa résolution en pratique et suivit Jésus jusque dans la cour du Grand Prêtre, au moment le plus périlleux de sa courte destinée.

2) Peu de temps après, en effet, saint Pierre a pareillement eu l'occasion de démontrer sa fidélité en acte, au lieu de s'en tenir à de simples paroles. Dans le jardin de Gethsémani, lorsque la garde du Temple vient arrêter Jésus, il n'hésite pas à sortir son épée et à livrer combat:

"Simon Pierre, qui avait une épée, la tira, frappa le serviteur du souverain sacrificateur, et lui coupa l'oreille droite. Ce serviteur s'appelait Malchus. Simon Pierre, qui avait une épée, la tira, frappa le serviteur du souverain sacrificateur, et lui coupa l'oreille droite."(Ev. selon saint Jean, 18, 11-12)

Par son acte en effet, Simon Pierre manifestait sa fidélité envers Jésus, une fidélité militante, qui n'hésite pas à prendre l'épée pour le défendre, quitte à en mourir. De cette attitude fort courageuse - on ne voit pas qu'un autre disciple ait fait de même, des générations d'écrivains chrétiens se sont moqués, y discernant un reliquat de la violence intrinsèque à une alliance jugée caduque, dépassée par la révélation de l'Amour Infini qui, au lieu de la vengeance, offre le pardon par le sacrifice ultime pour les siens. Certes! Cela n'enlève pourtant, d'un strict point de vue de morale naturelle, rien de l'attitude méritoire de Simon Pierre, qui a ainsi manifesté - déjà, son désir de témoigner de sa fidélité.

Mais Jésus l'arrête. Il ne lui fait pas ce reproche théologique habituel, auquel il vient d'être fait allusion, mais dit plutôt: "remets ton épée dans le fourreau. Ne boirai-je pas la coupe que le Père m'a donnée à boire?"(18, 12). L'héroisme de Simon-Pierre n'est pas de mise, dût-il aboutir sur la défaite des ennemis de Jésus, dans la mesure où c'est une mort volontaire que ce dernier doit subir. A l'héroïsme de l'épée et du combat doit se substituer, dans la perspective chrétienne, celui de la patiente souffrance sur la Croix. Mais cela, encore une fois, n'enlève rien à la noblesse de Simon-Pierre.

Et, justement, cette impossibilité de prouver de la manière la plus spontanée sa fidélité envers Jésus; n'est-elle pas une des explications de son reniement futur? En effet, dans la Cour du Grand-Prêtre, Simon Pierre, quoique risquant sa vie, demeure dans une situation bancale et transitoire, n'ayant plus les ressources de l'épée ni la force de la Croix, qui, du reste, ne pourra lui être communiquée que "d'en haut" à la Pentecôte. Tout se passe comme si la perte physique de l'épée, sanctionnée et même sanctifiée par l'interdiction christique, lui avait causé un dommage plus grand encore: la perte de son ressort moral intérieur et de cette force qui l'avait un temps rendu capable du sacrifice de sa vie. Dénudé, désorienté, il demeure seul dans le froid et dans la nuit d'un milieu hostile voire ennemi - et tel sera le lot de maint prêtre pour les siècles à venir. Mais voilà; il succombe tout d'un coup à la faiblesse de venir chercher auprès du feu un peu de chaleur; et de se réchauffer encore auprès d'humains comme lui. Hélas, le voilà qui rencontre un proche de ce même serviteur qu'il avait blessé; s'ensuit les triples accusations et le triple reniement. Saint Pierre a perdu son épée.  

3) Dernier élément: entre l'héroïsme de l'épée et l'héroïsme de la Croix, à laquelle, nous le savons par divers documents repris dans la tradition chrétienne, Simon-Pierre paiera finalement son tribut, s'étend une période indécise de formation et d'apprentissage, nécessaire à l'intégration des exigences spécifiques à l'alliance chrétienne, telle qu'elles se sont manifestées dans la vie du Christ et que la Pentecôte rend accessible aux hommes. Et ce n'est pas avant que Simon-Pierre pourra rendre son témoignage. Pendant la Cène, Jésus lui avait dit: "tu ne peux pas maintenant me suivre où je vais"(Jn 36), c'est-à-dire que le martyre sur la Croix ne lui était pas encore destiné. Il n'est pas étonnant qu'il ait défailli en chemin, et n'ait pu se retrouver, aux côtés de Jésus sur le Golgotha: ce n'était pas le moment pour lui, ce que confirme du reste l'Epitre aux Hébreux de l'apôtre Paul (ou d'un de ses disciples), selon laquelle Jésus seul était le Grand Prêtre capable et digne de franchir par son propre sacrifice la frontière entre la Terre et le Ciel.

Partager cet article
Repost0
18 juillet 2013 4 18 /07 /juillet /2013 16:10

Une des raisons qui ont longtemps causé une certaine ostracisation de Nietzsche en philosophie consiste dans son rapport ambigü au racisme. Nietsche, exaltant la "volonté de puissance", dont la soeur offrira bien après sa mort sa propre canne au Führer, etc. Le caractère littéraire de la pensée de Nietzsche a aussi freiné la diffusion de sa pensée, avant qu'il ne connaisse, avant la grande guerre, une certaine gloire qui ne fit que se confirmer par la suite.

 

Il existe indubitablement des passages péjoratifs de Nietzsche envers les Juifs dans son oeuvre; mais il faut rappeler qu'il en existe tout autant de positifs, et d'autres dépréciant le peuple allemand en le parant de tous les maux.

 

Le livre le plus sulfureux est certainement la "généalogie de la morale", dans lequel Nietzsche oppose la morale des forts, toute de domination et de puissance, à celle des esclaves, qui consiste dans la résignation et la soumission. S'il semble bien que Nietzsche vise surtout la morale évangélique de son temps, sa critique dépasse largement celle de la religion de son temps pour s'inscrire dans le rejet d'un type psychologique déterminé que diverses religions et philosophies viennent à illustrer.

 

Sa lecture, toutefois, n'échappe pas au biologisme de son temps, et les forces psychologiques dont il parle sont parfois objectivées comme déterminations raciales et biologiques. Lu au pied de la lettre, effectivement, et en faisant abstraction d'autres aspects de sa pensée, Nietzsche a pu se retrouver dans la pensée d'auteurs racialistes - qui ne l'ont d'ailleurs pas attendu pour fulminer leurs propres aberrations.

 

Inversement, Nietzsche devient plein de respect face à la Bible, qu'il reconnaît comme un livre inspiré: "c'est là le livre d'un peuple."

 

Plus davantage que l'opposition entre types psychologiques, la pensée de Nietzsche repose sur l'opposition entre deux usages de la force, la force étant, à la suite de Leibniz et de Spinoza, cette tendance du vivant qui est caractéristique de tout être comme tel. Dans le premier cas, une force en expansion indéfinie, qui ne fait face aux obstacles que pour mieux les surmonter: la valeur est alors "condition de conservation et d'accroissement" du vivant. Dans le second cas, une force végétative, qui se restreint et finit, selon Nietzsche, par périr.

 

Cette opposition métaphysique se prolonge dans une opposition maintenant théologique (ou théiologique pour parler comme Heidegger): l'opposition entre Dionysos, le Dieu de la vie toujours renouvelée, de l'extase et de l'ivresse, et du Crucifié, abîmé dans sa douleur salvatrice.

 

Les contradictions de Nietsche? Elles viennent précisément du fait que Nietzsche aura tenté de réunir, d'intégrer ces deux polarités de l'Etre.

 

Lors de son effondrement à Turin, le 3 janvier 1889, Nietzsche se proclamera à la fois Dionysos et le Crucifié, voulant réunir en lui pour ainsi dire toute l'humanité. Entreprise dangereuse, le soumettant à des forces colossales, desquels il ne pouvait sortir qu'en sombrant dans la folie.

 

Fait étrange, le Dionysos dont il se réclame n'est autre que le Dieu des Juifs dans certaines traditions, qui remontent à Plutarque (Propos de Table).

 

Shakespeare lui-même fera allusion à ces deux options existentielles fondamentales dans son Hamlet (act. III, sc.I), en évoquant deux types de noblesse possible: "souffrir les coups d'une atroce fortune" ou bien "prendre les armes contre un océan de problème, et, en s'y opposant, y mettre fin."

 

Ce qu'on peut également mettre en relation avec les deux messies du judaïsme, etc.

 

Permettons-nous pour finir une lecture cocardière - justement. Ces deux polarités ne sont-elles pas présent dans le drapeau français: le bleu et le rouge, la droite et la gauche? Et ne sont-elles pas à mettre en rapport avec le bleu et le rouge du drapeau de Paris (le bleu de saint Denis et le rouge de saint Martin)? Et la crise de folie de Nietzsche date du 3 janvier, fête de sainte Geneviève, patronne de Paris? Et sa mort du 25 août, fête de saint Louis?

 

 

 

Partager cet article
Repost0
4 juillet 2013 4 04 /07 /juillet /2013 10:41

Les récentes déclarations de Jean-Luc Mélanchon concernant l'Allemagne ont bien pu susciter la réprobation vertueuse de la classe politico-médiatique, il est bien possible, cependant, qu'elles dévoilent une part de la psyché collective française. D'autant que Jean-Luc Mélanchon semble désormais remplir la "fonction tribunitienne", selon l'expression du politologue Georges Lavau, jadis dévolue au PCF puis à Jean-Marie Le Pen, en référence au tribun de la Rome Antique, se faisait l'expression des désirs et des sentiments de la foule.

 

Contestant les appels d'Angela Merkel à l'ordre budgétaire, à la rigueur financière et à la discipline économique, Jean-Luc Mélanchon a pu en effet dire: "les Allemands, c'est un modèle pour ceux qui ne s'intéressent pas à la vie." (c'est-à-dire, en termes économiques, une relance massive par la consommation et par les subventions étatiques). "Mais pour ceux qui s'intéressent à la vie, personne n'a envie d'être allemand. Ils sont plus pauvres que la moyenne [?], ils meurent plus tôt que les autres, ils n'ont pas de gosses, et leurs immigrés foutent le camp parce qu'ils ne veulent plus vivre avec eux, c'est dire."(9 juin 2013). Ses propos, vite condamnés, ne sont-ils que l'expression d'un frondeur isolé? Il semble plutôt qu'ils reflètent l'opinion profonde du peuple français, qui a dans son ensemble, envers l'Allemagne, un mélange d'indifférence et de mépris. Seulement 16% des élèves français apprennent l'allemand, et encore faut-il ajouter que cela est dû à des initiatives politiques et diplomatiques très fortes, visant à imposer aux collèges et aux lycées la présence de classes où l'anglais et l'allemand puissent être appris simultanément. Manque d'intérêt symptomatique, donc, que celui des Français envers leurs voisins, toujours

 

Cette indifférence, toutefois, ne cacherait-elle pas des sentiments plus inavouables?

 

On doit à Freud, le fondateur de la psychanalyse, un passage curieux sur le sujet: "des groupes ethniques appartenant à la même souche se repoussent réciproquement : l'Allemand du Sud ne supporte pas l'Allemand du Nord, l'Anglais dit tout le mal possible de l'Écossais, l'Espagnol méprise le Portugais. L'aversion devient d'autant plus profonde que les différences sont plus prononcées : c'est ce qui explique l'aversion des Gaulois pour les Ger­mains, des Aryens pour les Sémites, des blancs pour les hommes de couleur."Psychologie collective et analyse du moi (1921, ch.V)

Aversion des Gaulois pour les Germains? Certes, une histoire longue permet de l'affirmer: les Deux Guerres Mondiales, la défaite de 1870, la Réforme, les ambitions du Saint Empire Romain Germanique au Moyen-Âge, les invasions germaniques, etc.

 

En outre, deux faits historiques sont susceptibles d'étayer cette thèse.

 

La première est la Révolution Française. La famille royale était, après tout, très allemande: la mère de Louis XVI était allemande, Marie-Antoinette était une allemande d'Autriche, pour ainsi dire, et Louis XVII, l'héritier, était donc aux trois quart allemand. Ce n'est sans doute pas un hasard si la Révolution s'acharna contre eux. Il faut lire Qu'est-ce que le Tiers Etat de l'Abbé Sièyes pour comprendre que la Révolution se comprenait contre un lutte raciale: d'un côté le Tiers Etats, "nation complète" formée par le peuple Gaulois et des éléments Romains, et de l'autre la noblesse, "issue des forêts et des marais de Germanie", que Sieyès évoque en termes peu amènes.

 

La seconde est la Première Guerre Mondiale. Au début de cette dernière, Joseph Joffre avait réorganisé l'armée française et avait vaincu les Allemands sur la Marne, en septembre 1914. Or, lui-même était du sud, d'origine Wisigothique, au point qu'on l'avait confondu, pendant son service militaire, avec un espion allemand. Il fut limogé en 1916, comme par hasard au moment où il allait remporter une grande victoire.

 

Hasard? Coincidence? Deux exemples de faits montrant l'hostilité des Français envers les Allemands.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
28 janvier 2013 1 28 /01 /janvier /2013 00:47

Dans ce blog, après de longues semaines de silence, je vais finalement et courageusement faire mon coming-out: je suis contre le 'mariage pour tous.'

 

I. L'homophobie, contraire à l'esprit de Paris

 

En matière aussi délicate, il importe de préciser que s'opposer au "mariage pour tous" n'est pas synonyme d'homophobie. C'est ainsi que la plupart des contestataires de la loi Taubira ont souvent pris soin de se démarquer d'intégristes à la Civitas, qui vouent les homosexuels et les partisans de la loi Taubira aux mêmes feux éternels.

 

Au passage, remarquons que cette déclaration d'amour inattendue envers les homosexuels, de la part de manifestants qui affirment par ailleurs qu'ils ont "plein d'amis homos", selon la formule consacrée, semble parfois aller dans le sens d'un véritable "mariage pour tous" - mais il ne faut pas y tromper, il ne s'agit que d'une passade de circonstance. 

 

Quant à l'auteur de ces lignes, il tient à préciser qu'il n'a hélas qu'un seul ami homo - ou plus exactement, avait, dans la mesure où la personne en question a rompu toute attache amicale depuis son entrée dans une secte (l'Education Nationale pour ne pas la nommer).

 

Par delà ces attitudes composées et plus ou moins franches, il existe cependant une raison décisive pour désapprouver l'homophobie: la longue tradition de tolérance de la France envers l'homosexualité, qui tire son origine dans la Révolution Française, et même plus haut. De la France, et plus précisément de Paris. En réaction au puritanisme excessivement répressif des religions et des cultures anciennes, Paris a toujours promu la tolérance envers les desperados et les maudits de l'affectif, homosexuels en tête. La Ville Lumière, qui s'est longtemps voulu aussi ville de l'amour, dernier refuge d'Aphrodite où lords anglais et américains esseulés venaient faire leur éducation sentimentale, a toujours pris un soin particulier à protéger, voire à chérir, la marginalité sexuelle, en témoignage de son esprit de tolérance.

 

N'est pas la ville de Paris, depuis la Révolution Française audacieuse libératrice, qui par le Code Pénal de 1791 - très libéral, et qui fut repris en 1810 - abrogea tout le dispositif répressif envers l'homosexualité? Ce qui provoqua l'essor de tout une culture homosexuelle au XIXème siècle, dans un climat plutôt tolérant, malgré le retour épisodique d'une certaine répression préfectorale ou politique, notamment dans les années 1940 et 1960.

 

Il n'empêche que Régis Revenin, dans une intéressante étude sur l'homosexualité dans le Paris de la Belle Epoque, note ainsi qu'"il semblerait que la population parisienne se soit montrée bienveillante, indifférente ou tolérante à l’endroit des homosexuels." C'est Paris, encore, qui, après avoir veillé sur l'équipée de Rimbaud et de Verlaine, offrit son hospitalité à Oscar Wilde, après son triste séjour dans les geôles de Reading. Ou encore assura à André Gide son succès littéraire, qui lui valut un prix Nobel de littérature grâce à des oeuvres qui, aujourd'hui, serait refusée par les éditeurs. Et permit à Marcel Proust de rédiger et de publier la longue épopée de la Recherche... Et protégea l'essor de toute une culture homosexuelle, littéraire comme cinématographique, marquée par des étoiles comme Jean Cocteau ou Henry de Montherlant, au point qu'Emmanuel Berl se vit proposer par Marcel Proust un "certificat d'inversion" afin de mieux entrer dans les milieux littéraires. Et autorisa encore toutes les marginalités, dans les années 1970 d'abord, puis sous l'ère Mitterrand ensuite. Et pour finir, se dota d'un maire homosexuel, le 25 mars 2001, en la personne de Bertrand Delanoë. Et, comme à l'habitude, tant pis pour la Province!

 

La tolérance de Paris, et de toute une culture politique française après elle, envers les déviances sexuelles, est davantage qu'une simple permissivité: elle procède, en toute logique, d'un parti-pris soigneusement assumé envers les mal-aimés et  les marginaux, entendant les protéger et trouver comme une rédemption publique à leur état de malédiction grâce à une gloire littéraire, scientifique ou politique par elle généreusement conférée.

 

Cette longue tradition, cependant, semble avoir été brisée net dans les années 1990, jusqu'à aujourd'hui, pour des raisons qui se laissent malaisément  circonscrire. Tout d'abord, l'influence de la mondialisation anglo-saxonne imposa à la vie politique française, pour le meilleur et pour le pire, des critères de moralité politique contrastant avec une certaine permissivité qui longtemps prévalut chez nos classes dirigeantes. Ensuite, aussi, la multiplication des scandales pédophiles depuis l'affaire Dutroux de 1996, multiplication qui, certainement, a profondément remis en cause la tolérance française envers les marginalités sexuelles en faisant obscurément pressentir à l'âme de la France qu'elle était allée trop loin. La conjonction de ces deux facteurs, combinés à d'autres, provoqua une remise en question aussi profonde qu'inapparente chez cette dernière, la conduisant paradoxalement à une soif de respectabilité, quitte à sombrer dans de multiples chasses aux sorcières. Une ligne de fracture traverse ainsi les années 1990, clivant fatalement et définitivement la vieille France et son esprit tolérant, et la nouvelle qui peine à naître, et dont le premier réflexe va vers un retour à des normes plus conventionnelles et plus en phase avec les critères moraux de la mondialisation en marche.

 

Il faut comprendre le "mariage pour tous" précisément dans cette perspective: non pas d'un progrès, mais d'un recul de la tolérance, qui se manifeste pas une soif de normalisation à outrance, et dont un avatar inattendu est précisément le mariage homosexuel, qui vise à insérer les amours homosexuelles, traditionnellement marginales et maudites, dans un canevas légal qui l'enrégimente dans un nouvel ordre moral universalisant peu enclin à tolérer les disparités en matière de moeurs. Hérésie scandinavo-saxonne, bien éloignée de l'esprit français, et dont peu de commentateurs ont souligné l'aspect foncièrement régressif et, in fine, moralisateur.

 

Face à la crise d'identité que le modèle amoureux français traverse, il importe maintenant d'opérer une synthèse viable et originale du vieil esprit français de tolérance et de la réhabilitation de valeurs auparavant dénoncées comme bourgeoises ou trop étriquée.  La rupture est consommée avec les temps anciens de la tolérance généralisée; cette France-là, qui fut aimée et célébrée par le monde entier, est bien morte pour être allée trop loin; mais rien ne dit qu'elle saura renaître avec audace, inventivité et, cette fois, sagesse et prudence.

 

 

II. Les périls de l'homophobie

 

Il existe une deuxième raison pour se méfier de l'homophobie, ainsi que de son inverse, l'inculpation d'homophobie, à savoir leur récupération politique intéressée.

 

La stigmatisation d'homophobie, en effet, fréquemment élevée à l'occasion des débats houleux autour de cette loi, paraît trop facile et systématique pour pouvoir réellement valoir comme argument de plein droit. Son utilisation partisane renvoie à un fait historique hélas peu connu: l'homosexualité fut historiquement décriée autant à droite qu'à gauche - et tolérée de même, par delà les fractures partisanes.

 

Une certaine droite française, dans les années 1960, par exemple, pouvait par exemple défendre en sourdine un certain élitisme homosexuel représenté par de grands écrivains - pourvu que les apparences fussent sauves, face à une gauche soucieuse de morale privée et publique. Les années 1970, post-soixante huitardes comme on dit, prônèrent inversement la grande libération des désirs face à un ordre bourgeois qualifié de terne et d'étriqué. Il en résulta, en 1982, la dépénalisation totale de l'homosexualité par la gauche au pouvoir, alors que l'opposition tremblante s'attendait à voir les chars russes envahir la place de la Concorde.

 

Il est loisible de remonter plus loin dans le temps pour s'apercevoir, à travers les cas, par exemple, de Frédéric II, du grand Condé, de Mazarin, du pape Paul III et de Michel Ange, que la politisation de l'homosexualité, avec son clivage camp de l'homophobie / camp de l'intolérance, est une invention récente.

 

Cette politisation date en effet du début de notre modernité politique dont elle relève en creux la tension constitutive, même si, auparavant, quelques disputes religieuses les avaient devancées (les Cathares contre le mariage, la Réforme contre la corruption romaine, etc.).

 

 En outre, cette politisation demeure éminemment variable, l'homophobie passant sans complexe d'un camp à un autre. Qui se souvient ainsi qu'en Allemagne, dans les tristes années 1930, ce furent les socialistes qui accusèrent les nazis d'être des homosexuels débauchés, devant notamment le spectacle de Röhm et de ses SA? C'était aussi l'époque où Maxime Gorki, dans son Humanisme prolétarien (1934) assimilait l'homosexualité au fascisme. Evidemment, Röhm et les SA furent vite éliminés par Hitler, mais Himmler, dans un discours de1937, put encore se plaindre de l'atmosphère d'homosexualité qui pouvait se dégager d'une militarisation excessive de son pays. Toujours est-il que les homosexuels furent poursuivis, réprimés et envoyés en camp de concentration où ils dûrent arborer un 'triangle rose'. En URSS, la loi du 7 mars 1934 punissait de cinq ans de travaux forcés l'homosexualité, avec possible renouvellement de peine, trois mois avant la nuit des longs couteaux. Loi qui, précisément, désenchanta profondément André Gide dans son Retour d'URSS. L'on voit suffisamment que l'homophobie n'est nullement l'apanage d'un camp politique, et fut, selon les humeurs du temps, invoquée tant à droite qu'à gauche.

 

L'homophobie, comme la contre-accusation d'homophobie, relèvent du domaine de la polémique politique et doit être soigneusement distinguée des considérations juridiques et morales sur le mariage homosexuel.

 

(A suivre)

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0