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12 mai 2015 2 12 /05 /mai /2015 00:52
Jean-Paul Richter, Poétique, §73, "De l'idylle"
"L'idylle n'est pas une branche, mais une fleur des trois branches du roman; de telle sorte qu'on ne peut en donner une définition plus vide qu'en disant qu'elle représente cet âge d'or de l'humanité qui a disparu.

On a fait jusqu'ici trop rarement la réflexion suivante: puisque la poésie, dans son écho céleste, transforme en harmonie les dissonances de la douleur, pourquoi n'emploierait-elle pas ce même écho céleste à rendre plus tendre et plus sublime la musique de la joie? C'est ce qu'elle fait, mais on ne s'en aperçoit pas assez et on l'en loue trop peu.(...)

Mais quel effet ferait la poésie joyeuse? Il en existe au moins un petit genre épique, c'est-à-dire l'idylle. C'est une présentation épique du plus grand bonheur possible dans un état borné. Les transports sublimes appartiennent au genre lyrique et au romantisme; car sans cela le ciel du Dante et les cieux disséminés de Klopstock rentreraient dans la catégorie des idylles. L'état borné dans l'idylle peut être relatif tantôt aux biens, tantôt aux lumières, tantôt à la condition sociale, tantôt à tous ces éléments à la fois. Mais comme, par l'effet d'une confusion, on le rapportait surtout à la vie pastorale, une seconde confusion le transportait dans l'âge d'or de l'humanité; comme si cet âge ne pouvait se passer que dans un berceau immobile et non tout aussi bien dans un char volant de Phaéton. Quelle preuve y a-t-il que le premier âge, l'âge d'or de l'humanité, ait été un état borné, et non l'âge le plus riche, le plus libre et le plus éclairé?
Cette preuve du moins ne se trouve pas dans la Bible: elle n'est pas non plus dans l'assertion de quelques philosophes qui prétendent que la floraison de toute notre culture ne peut être atteinte que par une répétition de l'âge d'or, et qu'après un véritable accomplissement de la science et de la vie, les peuples regagneront l'arbre qui porte ces noms, avec le paradis. D'ailleurs la vie pastorale, en dehors du calme et du loisir, n'offre guère mieux  que la vie d'un gardeur d'oies; la terre bienheureuse de Saturne n'est pas un parc de moutons; son lit et son char célestes ne sont pas une charrette de pâtres. Théocrite et Voss, ces Dioscures de l'idylle, ont laissé entrer dans leur Arcadie toutes les conditions inférieures: le premier y appela des Cyclopes; le second introduisit la grosse bourgeoisie dans sa "Louise" et ailleurs. L'"Hermann" et "Dorothée" de Goethe n'est pas un poème épique, mais une idylle épique. Le "Vicaire de Wakefield" est une idylle jusqu'au moment où une infortune propre à la ville vient troubler l'harmonie de cette harpe éolienne, dont les cordes trop fortement tendues rendent alors des sons faux, de telle sorte que la fin déchire le commencement.

Le maître d'école, Wutz, de l'auteur que nous connaissons tous, est une idylle dont je ferais plus de cas que n'en font d'autres critiques, si mes relations personnelles avec cet auteur me le permettaient; le Fixlein et le Fibel du même auteur rentrent également dans cette catégorie. La vie même de "Robinson Crusoé", celle de Jean-Jacques sur son Ile de Saint Pierre, nous réjouissent du parfum et des douces couleurs de l'idylle. On peut élever au rang d'une idylle le voyage à pied ou en voiture, d'un roulier qui trouverait du beau temps, de bonnes routes, des repas plantureux (...). Si l'on veut d'autres exemples, les jours de vacances d'un pédagogue, les journées blanches d'un artisan, le baptême du premier enfant, et même ce premier jour où la fiancée d'un prince, lasse des fêtes de la cour, roule enfin, seule avec son prince (leur suite se tient à une certaine distance) vers un ermitage plein de fleurs, tout cela peut devenir la matière d'une idylle; tous peuvent chanter: "Et nous aussi nous avons été en Arcadie."




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