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11 mai 2015 1 11 /05 /mai /2015 15:37

Qui sait que le monde slave actuel, déchiré et meurtri, riche, aussi, de traditions spirituelles et artistiques inégaliées, doit les grands contours de sa physionomie à deux grecs du IXème siècle après Jésus-Christ?

 

 

Le neuvième siècle! Après la mort de Charlemagne (814), les héritiers commencent à se partager l'empire divisé (843). La splendide renaissance carolingienne s'essoufle, alors que l'Europe sombre dans les divisions et, faute d'autorité politique suffisamment puissante, entre dans l'ère de la féodalité. Le flambeau de la civilisation, alors, semble prêt à passer au monde slave, monde rude, sauvage mais tout empreint de cette naïveté propre aux peuples qui s'adonnent aux nécessités de la vie dans l'atmosphère enchantée de leurs croyances ancestrales. Après deux vagues d'invasion, les premiers Etats s'organisent, le royaume de Samo, celui de Grande Moravie puis celui de Pologne. Il ne s'agit encore que de chefferies fédérant des tribus éparses, réunies par une langue et une culture commune - ce n'est en fait qu'au siècle suivant que les différents peuples slaves divergeront linguistiquement et formeront de véritables monarchies. Un monde neuf, brut, orphelin, à l'instar de ces immenses steppes s'étendant de la plaine hongroise jusqu'en Asie Centrale; monde riche en promesses et en potentialités, et qui, on le verra, devait hésiter quelque siècles entre plusieurs civilisations avant de revêtir la physionomie culturelle qui est désormais la sienne aujourd'hui.



C'est ici qu'entrent en jeu Cyrille (827-869) et Méthode (815-885), nés à Thessalonique d'une fratrie de sept enfants dans le foyer d'un responsable militaire byzantin, ils sont pris sous la protection du premier ministre de Byzance après la mort de leur père. Ils reçoivent une éducation solide à Constantinople, surtout Cyrille, qui est bientôt appelé "Constantin le Philosophe." Ils deviennent alors fonctionnaires de l'administration impériale. Constantin, en particulier, devient ambassadeur et participe à une mission auprès du calife de Bagdad. Mais son frère, lassé de sa charge de fonctionnaire de province, se fait bientôt moine et, peu après, Cyrille le rejoint.

 

Khazaria_map_from_600_till_850.jpg

 

Cette retraite loin du tumulte du monde aurait dû leur assurer la tranquillité de l'âme et le repos du corps. Il n'en fut rien. Ils sont bientôt envoyés aux confins de la mer Noire, dans le mystérieux royaume khazar, fondé par une tribu turcique originaire d'Asie centrale qui s'était établi maîtresse des routes commerciales reliant l'empire byzantin et la Russie de Kiev à la lointaine Chine. Le royaume, devenu multiethnique et plurilingue, n'avait pas vraiment de religion officielle, si ce n'est de vieilles traditions asiatiques encore en usage au sein de la noblesse et du peuple et qui survivaient à côté de religions plus dynamiques et culturellement plus avancées comme le christianisme et, surtout, le judaïsme. Le Khanat de Khazarie, très vite, se trouva aux prises avec les armées arabes, qui déferlaient avec fougue et violence sur le Moyen-Orient. Dès après leur conquête de l'Arménie en 640, les forces arabes poussèrent jusqu'en Khazarie en 642. S'ensuivirent d'interminables décennies d'une guerre impitoyable qui devait se prolonger jusqu'en 799, et marquées par deux affrontements majeurs, l'un vers et l'autre vers 642-652. Les Khazars, en fait, avaient eu tout d'abord la haute main sur leurs adversaires, minés dans leur ardeur conquérante par deux guerres civiles vers 660 et vers 680-695. Mais les forces arabes s'étaient resaissies et, dès 722 se relancèrent dans la bataille. Après des combats acharnés de part et d'autres, les forces arabes défirent les Khazars en 737. Le royaume fut vassalisé et forcé de se convertir à l'Islam. Les Khazars, cependant, parvinrent à secouer le nouveau joug et reprirent leur indépendance.




C'est dans ces circonstances qu'ils choisirent le judaïsme. Choix curieux de prime abord, mais explicable par plusieurs facteurs. Tout d'abord, les arabo-musulmans se refusaient à signer tout traité de paix avec des païens idolâtres. Ces derniers devaient être combattus avec la dernière énergie en une lutte qui ne devait s'achever que par leur subjugation complète ou leur conversion. D'où le traité de 737, imposant la conversion des Khazars à l'Islam. Mais, d'une façon générale, les arabes acceptaient de passer des traités avec des peuples adhérant à l'une des religions reconnues par le Coran, parmi lesquelles le Christianisme et le Judaïsme. La conversion au judaïsme, dans ce contexte, effectuée à cette époque par le Khan Joseph, permettait aux Khazars de pouvoir traiter avec les arabes en un moment-clef où les lignes de force des deux puissances s'étaient finalement établies, tout en affirmant leur indépendance par rapport à l"empire byzantin orthodoxe. On a pu invoquer d'autres motifs, du reste nullement contradictoires avec ces derniers: forte présence de juifs en Khazarie, fuyant les conversions forcées de l'Empire Byzantin, apparition d'un ange lors d'une bataille, disputation devant le souverain de représentants respectifs des trois monothéismes, etc.



La mission de Constantin (Cyrille) auprès des Khazars en 860, sur la demande de l'Empereur Michel III et du patriarche de Constantinople Photius, son ancien professeur, mêlait indissolublement, comme toujours dans la diplomatie byzantine, le politique et le spirituel, le géographique et le dogmatique, le linguistique et le liturgique. Il s'agissait avant tout de renforcer les liens unissant les Khazars et l'empire byzantin face à la menace croissante des Petchénègues et surtout de nouveaux venus sur la scène internationale, les Russes. En essayant notamment d'éloigner les khazars du judaisme et de leur faire adopter le christianisme byzantin, déjà présent comme minorité religieuse dans l'empire khazar et, également, en Crimée. Il ne semble pas, toutefois, que l'entreprise de Constantin ait été suivie de succès.  

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